Dans le manuscrit des Héroïdes d’Ovide, traduit par Octavien de Saint-Gelais vers 1500, l’une des enluminures merveilleuses de Robinet Testart montre une jeune femme, Hypsipyle, reine de l’île de Lemnos, qui écrit une lettre. La reine grecque est représentée sous la forme d’une jeune femme superbement vêtue, avec un châle ou drap porté comme une toge, et sa robe, sa coiffe et ses bijoux la situant dans la France de la fin du 15eme siècle. Un détail pourtant m’a intrigué : l’instrument d’écriture que la jeune femme tient dans sa main droite : il ressemble à un stylo médiéval.
Nous avons tous déjà vu, dans des documentaires à la télévision ou dans des films historiques, des personnages écrivant sur du papier avec des belles plumes bien blanches et duveteuses. Mais l’instrument sur l’image ne ressemble pas à cette plume-là.
Aussi, nous écrivons la main posée sur le support d’écriture, et la jeune fille de l’enluminure écrit à main levée. Il y a une raison simple pour cette position, qui semble peu confortable : Hypsipyle a bien une plume à la main, et elle écrit avec de l’encre. Celles et ceux qui ont essayé d’écrire avec une plume d’oie savent que le bout de la plume n’est pas coupé droit, mais en biais. Pour pouvoir écrire correctement et de disposer d’assez d’encre, il faut lever la main. Mais où sont passés les jolies plumes que nous voyons dans des films ?
C’est simple – il n’existent que dans des films. On ne les utilisait pas ainsi, car les plumes ont été rasées. Personne au Moyen Âge, ni à la Renaissance aurait eu l’idée de laisser le duvet, très gênant pour écrire – les plumes sur les images ressemblent ainsi à des stylos médiévaux. Je termine mon article avec une pensée reconnaissante à la conservatrice de la bibliothèque abbatiale de Saint-Gall en Suisse, qui m’a éclairé sur cet énigme de stylo médiéval. La prochaine fois que vous regarderez un documentaire historique ou un film au cinéma, vous savez que la jolie plume qui court sur le papier était en vérité ce qu’on appelle en allemand un Gänsekiel, et en anglais un (goose)quill : une plume rasée.

Odon écrivant. Enluminure du 12ème siècle © Österreichische Nationalbibliothek, Vienne / Codex 51, f° 45