Isabeau de Bavière, épouse d’un monarque normal

« Isabeau n’était pas capable de grandeur. » Voilà un jugement sans appel, lancé à la tête d’une lectrice de 2014 comme moi qui ne demandait rien. Aucune source n’est citée pour appuyer cet assassinat historique d’Isabeau de Bavière, reine de France et épouse du « roi fou » Charles VI. L’auteur de ces lignes, Philippe Erlanger, ne semblait pas conscient de l’influence que l’histoire récente avait éxercée sur son jugement, si sévère, de cette reine d’origine étrangère.

Le problème débute – comme si souvent quand il s’agit de femmes – avec les images, surtout avec l’existence ou non de portrait(s). Agnès Sorel, elle, n’a pas de souci à se faire quand à son image publique. Isabeau en revanche n’a pas eu de chance, pour elle, c’est la dèche. Aucun beau portrait contemporain en huile subsiste; nous avons seulement des enluminures dans de manuscrits. Une floppée de gravures colorées assez moches du 19ème siècle a marquée le personnage, style chapeau pointu et joues peintes en rose – faute d’un Jean Fouquet, il fallait bien montrer quelque chose. Mais elle ressemblait à quoi, Isabeau de Bavière?

Entrée d'Isabeau de Bavière à Paris. BnF

Joutes et Entrée d’Isabeau de Bavière à Paris. Chroniques de Froissart. Manuscrit vélin, vers 1460 © BnF/FR 2648 f.1

Née vers 1370 probablement à Munich, Élisabeth de Bavière fut marié en 1385 au roi de France Charles VI. À son arrivée à Paris, la jeune princesse est reçu en grande pompe. Avançant sous un dais en drap d’or, elle porte une magnifique robe de velours bleue, et une couronne sur sa tête. Reine de France jusqu’en 1422, elle meurt à Paris en 1435. Quand est-ce qu’elle a changé son prénom d’Élisabeth en Isabeau, et pourquoi? Un problème de prononciation? Je cherche en vain une réponse dans le livre de Monsieur Erlanger. Publié en 1945, l’ouvrage dont est tiré la phrase du début de l’article, Charles VII et son mystère, porte ouvertement les stigmates de deux Guerres mondiales. En continuant ma lecture, je tombe sur une phrase qui m’évoque une certaine actualité en France. Isabeau, écrit Erlanger, fut l« épouse d’un monarque normal » (p. 22). Normal, le roi Charles VI ?! Mais je ne suis pas au bout de mes surprises. Isabeau, apprends-je, n’a pas seulement un mauvais caractère, elle est aussi une mauvaise reine – mais bien sur, elle n’est même pas Française – et bien entendu une « mauvaise mère », comme clame haut et fort le titre du premier chapitre du livre. Isabeau, c’est l’Obsédée de Bavière, de ses châteaux et de ses lacs, et qui de plus vole les bonnes gens de France :

« La Bavaroise aimait les richesses. Pour les gaspiller ou pour les enfouir au fond des souterrains. Pour sa sauvegarde et pour ses plaisirs. (…) Dix-sept années vécues en France n’avaient réussi qu’à exalter sa passion pour sa famille, pour sa patrie. Aucun paysage n’effaçait à ses yeux les montagnes et les lacs bavarois, aucun chevalier ne lui paraissait égaler son frère Louis le Barbu dont elle eût voulu un connétable. Les bonnes gens l’accusaient d’envoyer des trésors en Allemagne, l’appelait l’Étrangère. Elle haussait l’épaule, se souciant peu de popularité. »

Ce mélange de nationalisme et d’anachronisme, parsemé de misogynie, crée un espèce de Moyen Âge imaginaire et décadent. Mais ce n’est toujours pas fini. Isabeau la traînée ressemble plutôt à une odalisque lascive et obscène, qu’à une reine de France du 15ème siècle:

« La fécondité de cette déesse du plaisir ne causait nu tort à son élégance, puisque la mode imposait aux femmes de conformer leur taille à celle de leur souveraine et de porter le ventre en avant. Ainsi, auréolée de gemmes, sa lourde gorge offerte, éblouissante de velours, d’hermine et d’or, Madame la Reine passait-elle, triomphante, des festins aux tournois, des bals aux cours d’amour. »

Tout cela ne me plaît vraiment pas. Pourtant, ce ne sont que les deux premières pages du livre! De quel droit peut-on diffamer une femme de telle sorte? Certes, Isabeau est morte depuis 600 ans et ne risque plus de protester, ou de traîner l’auteur de l’ouvrage en justice (qui d’ailleurs est mort lui aussi). Certes, elle est une victime facile, elle est étrangère, et de plus, elle a une « âme purement germanique », selon les mots de Philippe Erlanger. Qu’est-ce, une âme germanique?! Elle est, lis-je, « fière de ses seins ». Et pourquoi ne devrait-elle pas être fière de ses seins? Je m’arrête ici pour me calmer et poursuivre ma lecture. À suivre donc (si vous voulez bien).

Philippe Erlanger, Charles VII et son mystère. Éditions Gallimard, 1945 (1981).

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