« La France ayant adopté solennellement la loi salique en 1789, avant d’exclure les femmes de la citoyenneté puis de l’« universel » jusqu’en 1944, la démonstration des méfaits du pouvoir féminin continua de revêtir un intérêt stratégique pour ceux qui entendaient maintenir le monopole masculin sur la décision politique ; une démonstration à laquelle désormais quatre ou cinq exemples de « mauvaises reines » suffisaient amplement. En témoignent notamment les manuels d’histoire des IIIe, IVe et même Ve Républiques, où Frédégonde, Brunehaut, Catherine de Médicis et « l’Autrichienne » furent longtemps chargées de justifier la lecture que la France faisait de sa célèbre devise, Liberté, égalité, fraternité.
Cette période a commencé de prendre fin dans les années 1970. Les représentations caricaturales et les propos haineux sur les reines ont généralement disparu, et des manuels scolaires et des ouvrages savants. Mais la conséquence de cette double disparition a été bien souvent l’évaporation pure et simple de ces reines du paysage historiographique, sans que pour autant d’autres femmes y fassent leur entrée (travailleuses, paysannes, religieuses, intellectuelles…), au terme d’un « échange compensatoire » qu’on aurait pu imaginer dans un régime républicain dont l’élite intellectuelle se pense volontiers anti-monarchique et progressiste.
Il reste donc beaucoup à faire pour réintégrer dans le paysage historique de la France (et du monde) ces femmes qui toutes, assurément, ne furent pas « bonnes », mais qui du moins comptèrent dans un domaine ou dans un autre. Il est à parier, toutefois, que cette « réintégration » ne se fera pas tant que le monopole masculin sur le paysage politique lui-même n’aura pas été démantelé ; tant que la question du partage du pouvoir n’aura pas été, symboliquement au moins, résolue. »
Éliane Viennot, L’histoire des reines de France dans le débat sur la loi salique, XVe-XVIe siècles,
dans : E. Santinelli & A. Nayt-Dubois (dir.), Femmes de pouvoir et pouvoirs de femmes dans l’Europe occidentale médiévale et moderne. Valenciennes 2009.