L’enigme de la croix de cristal de Reims

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Croix en cristal, XVIe. Reims, Palais du Tau © P. Berthé/CMN

Un jour, ou peut-être une nuit, profitant probablement du chaos créé par le bombardement de la cathédrale de Reims en septembre 1914, un inconnu enlevait une croix en cristal de roche du trésor de la cathédrale de Reims. Le vol de cette croix, une œuvre précieuse datant du XVIe siècle, fut perpétré « sans doute avant l’évacuation du trésor vers le musée du Louvre qui commence en juillet 1915 » (CMN).

Cent ans plus tard, le Centre des Monuments nationaux annonçait le retour de cette exceptionnelle œuvre d’art, restituée à l’État sous réserve d’anonymat en 2009. La croix « est constituée de 13 morceaux de cristal de roche, assemblés par une précieuse monture d’argent doré » (CMN). Charles Cerf, dans son Histoire et description de Notre-Dame de Reims (1861), écrit que cette croix « avait appartenu au cardinal de Lorraine, puis à la cathédrale de Reims », où le cardinal Charles de Guise était archevêque de 1538 à 1574. Encore récemment, Isabelle Balsamo affirmait dans « Les tombeaux des Guises », en reprenant son précédent article paru en 1997: « Il offrit [à l’autel Sainte-Croix de la cathédrale de Reims] une croix en cristal de roche en 1570″. (Les funérailles à la Renaissance, Genève, Droz 2002).

Or, les recherches récentes de Maxence Hermant, conservateur au département des Manuscrits de la Bibliothèque nationale de France, s’orientent non pas vers un donateur, mais une donatrice de la croix de cristal: une certaine reine d’Écosse. En décembre 2014, Hermant tenait à ce propos une conférence intitulée « Autour de la croix de cristal retrouvée. Richesses méconnues de l’abbaye de Saint-Pierre-les-Dames ». Il n’est pas difficile de combiner les éléments ‘reine d’Écosse’, ’16e siècle’ et ‘abbaye de Saint-Pierre-les-Dames’ pour obtenir le nom de Marie Stuart (1542-1587), la fille unique de Jacques V Stuart et Marie de Lorraine. Or, cette conclusion n’est pas nouvelle. En 1908, l’historien Henri Jadart (1847-1921), conservateur de la bibliothèque et des musées de la ville et secrétaire général de la Société des Amis du Vieux Reims, publiait l’inventaire de l’abbaye Saint-Pierre-les-Dames dressé en 1690. Dans ce qui semble l’unique inventaire de cette abbaye disparue depuis la Révolution, une croix en cristal de roche est mentionnée. Pour Henri Jadart, la donatrice de la croix était Marie Stuart (1542-1587). La reine d’Écosse l’avait offerte à sa tante Renée de Lorraine (1522-1602), nommée abbesse de Saint-Pierre-les-Dames par le pape Paul III en septembre 1542. Jadart reste pourtant prudent et évoque l’attribution de ce don à son oncle Charles de Lorraine proposé par Charles Cerf, ainsi qu’une autre mention qui indique une provenance douteuse de la croix.

Cette croix de cristal est depuis un an exposée au palais du Tau, dans une vitrine de la salle du trésor de la cathédrale de Reims. Actuellement, elle porte la description « Croix Stuart, milieu XVIe, orfèvre parisien (?). Cristal de roche, Tau 9050000218». La désignation ‘Croix Stuart’ indique une décision en faveur de la reine d’Écosse. La question qui rodait depuis si longtemps dans les écrits des historiens, laquelle de ces deux personnages, Marie Stuart ou son oncle, avait offerte la croix de cristal, semble close. Mais à quelle institution religieuse rémoise fut-elle donnée, à la cathédrale Notre-Dame ou à l’abbaye Saint-Pierre-les-Dames? L’abbaye avait une importance majeure pour les femmes de la famille de Lorraine-Guise. C’est dans ses murs que Marie Stuart s’était retirée avant de partir pour l’Écosse. Plusieurs membres féminins ont été enterrés dans son église. La première de ces femmes fut sa mère, Marie de Lorraine, reine et régente d’Écosse, dont le monument funéraire somptueux a été érigé dans le chœur de l’église en 1561. Plus tard, c’est Renée, abbesse de Saint-Pierre, qui choisit ce même emplacement comme lieu de son dernier repos. Le titre de la conférence de Maxence Hermant en décembre 2014 suggère que cette seconde question est aujourd’hui également résolue. En 2015, le cardinal de Lorraine doit ainsi céder la possession historiographique de cette croix de cristal, aux dames de la famille Guise.

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La façade Renaissance de l’église Saint-Pierre-les-Dames de Reims, aujourd’hui détruite. Gravure publiée dans les Travaux de l’Académie Nationale de Reims

 

 

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